10.11.11

Rimbaud est mort un mardi à 10h du matin, le 10.11.1891

Il y a 120 ans, Rimbaud est mort. Il y a 120 ans, aujourd'hui, que Rimbaud s'endort. Le Dormeur du Val a passé une saison en Enfer et bien que les Illuminations aient suivies, il est resté aux bouches de l'enfer.  Plus que quiconque, il a, par la passion que ses écritures ont suscitée, et le sombre revers de ses liaisons avec l'enfer, le droit de citer dans l'Inferno.
Arthur Rimbaud, le révolté, est mort à 37 ans. Presque un vieillard comparé à l'image d'éternel adolescent révolté qu'il a laissé avec ses vers retors et rebels. Ce sont ceux d'un homme laissé toute la vie durant à l'article de la mort par l'image qu'il a, désespérante, de la vie. Mais qu'il a pourtant vécu sans lendemain. Il a l'expérience de la guerre, de par un père Capitaine d'infanterie qui enfantera cinq fois au gré des permissions avant de déserter les conflits familiaux et non ceux de la nation avec la Prusse. Ce qui inspira le fugueur récidiviste Jean Nicolas Arthur Rimbaud.

Il est mort Rimbaud, il est mort amputé d'une jambe, qui comme sa vie, aura enflée jusqu'à l'étouffer. Vêtu d'assez d'artifices pour que Verlaine tente de le tuer. Vêtu d'une jambe artificielle à l'aube de son enfer, le voyageur ivre, ce bohémien juvénile de génie a laissé l'emprunte poétique et hérétique d'une vision du monde d'idéaliste déçu et désemparé.

"L'amour doit être réinventé" - Arthur Rimbaud 
Total Eclipse de Agnieszka Holland (GB-1997)

Dans ce film britannique magnifique, on retrace l'épopée amoureuse et sulfureuse des deux amants Rimbaud et Verlaine. Au delà de la performance incroyable d'un acteur qui incarne parfaitement l'insoucience, l'insolence et l'égocentrisme livresque de la jeunesse, voici un film très intéressant qui serait resté, pour beaucoup, confidentiel s'il n'avait scellé la promesse hollywoodienne de la carrière d'un certain Léonardo Dicaprio. Pour la petite anecdote, le titre italien du film prend un sens particulier ici : poeti dall' Inferno (les poètes de l'enfer).

Arthur Rimbaud a laissé au monde une oeuvre incroyable d'écrivain prématuré. Ce génie juvénile, on l'a déjà dit, a agacé sur les bancs du lycée ceux qui, amis de la poésie, s'y sont essayés, sans talent, sans honneur, sans bohème et la rancoeur naissante ; il a été jalousé ! J'étais de ceux-là, inspiré par l'oeuvre sombre qu'on doit à une jeunesse rebelle, comprimée entre l'enfance et l'âge adulte.
En tout honneur, toute gloire, Arthur, a su gagner le graal en restant à jamais le poète adolescent aussi talentueux qu'idéaliste.
Il vit Rimbaud, il vit et continue à résonner de ses sonnets. Et ses vers arraisonnés du regard du siècle dernier et du nouveau trouve encore autant de contemplation que de doux enfers.
Avant de laisser au Dormeur du Val les derniers mots de ce billet, voici ceux de celle qui vécut avec lui ses derniers instants, sa soeur, Isabelle, adressant une lettre à leur mère, le 28 octobre 1891 :

Dimanche matin, après la grand-messe, il semblait plus calme et en pleine connaissance : l'un des aumôniers est revenu et lui a proposé de se confesser ; et il a bien voulu ! Quand le prêtre est sorti, il m'a dit, en me regardant d'un air troublé, d'un air étrange : 
- "Votre frère a la foi, mon enfant. Que nous disiez vous donc? Il a la foi, et je n'ai même jamais vu de foi de cette qualité !" 
Moi, je baisais la terre en pleurant et en riant. O Dieu ! quelle allégresse ! quelle allégresse, même dans la mort, même par la mort ! Que peuvent me faire la mort, la vie, et tout l'univers et tout le bonheur du monde, maintenant que son âme est sauvée ! Seigneur, adoucissez son agonie, aidez-le à porter sa croix, ayez encore pitié de lui, ayez encore pitié, vous qui êtes si bon ! Oh oui, si bon. - Merci mon Dieu, merci !  Quand je suis rentrée près d'Arthur, il était très ému, mais ne pleurait pas ; il était sereinement triste, comme je ne l'ai jamais vu. Il me regardait dans les yeux comme il ne m'avait jamais regardée. Il a voulu que je m'approche tout près, il m'a dit : 
- "Tu es du même sang que moi : crois-tu, dis, crois-tu ?" 
J'ai répondu : 
- "Je crois ; d'autres plus savants que moi ont cru, croient ; et puis je suis sûre à présent, j'ai la preuve, cela est !" 
Et c'est vrai, j'ai la preuve aujourd'hui ! 

Au comble de l'agonie, s'est-il réellement repenti, livré à Dieu ? A-t-il succombé au geste ultime de générosité qui a permis d'apaiser simplement sa soeur ? A l'article de la mort, et subissant de grandes souffrances, a-t-il souhaité sauver son âme en convertissant ses croyances ? Sa soeur souhaite-t-elle simplement soulager sa pauvre mère ? Comme elle commence cette lettre, annonçant le pire avec la plus grande joie, j'en doute. Elle a réellement la foi :
"Dieu soit mille fois béni ! J'ai éprouvé dimanche le plus grand bonheur que je puisse avoir en ce monde. Ce n'est plus un pauvre malheureux réprouvé qui va mourir près de moi : c'est un juste, un saint, un martyr, un élu !" 

Une chose est certaine, c'est qu'il vit aujourd'hui, il vit par ce qu'il a écrit :

"Elle est retrouvée ! Quoi ? L'Eternité.
C'est la mer mêlée au soleil"
(Alchimie du verbe, Une Saison en Enfer


 A. Rimbaud (20.10.1854 - 10.11.1891)

1 commentaire:

  1. Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud!
    Fureur et mystère, 1962


    Tes dix-huit ans réfractaires à l'amitié, à la malveillance, à la sottise des poètes de Paris ainsi qu'au ronronnement d'abeille stérile de ta famille ardennaise un peu folle, tu as bien fait de les éparpiller aux vents du large, de les jeter sous le couteau de leur précoce guillotine. Tu as eu raison d'abandonner le boulevard des paresseux, les estaminets des pisse-lyres, pour l'enfer des bêtes, pour le commerce des rusés et le bonjour des simples.


    Cet élan absurde du corps et de l'âme, ce boulet de canon qui atteint sa cible en la faisant éclater, oui, c'est bien là la vie d'un homme! On ne peut pas, au sortir de l'enfance, indéfiniment étrangler son prochain. Si les volcans changent peu de place, leur lave parcourt le grand vide du monde et lui apporte des vertus qui chantent dans ses plaies.


    Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud! Nous sommes quelques-uns à croire sans preuve le bonheur possible avec toi.


    René Char

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