19.12.12

Messalina





Eugène Cyrille Brunet
(Sarcelles, 1828 - 1921)

Messaline
Musée des Beaux-Arts, Rennes.

Marbre de Carrare
Salon de 1884

Dépot de l'Etat (FNAC) au musée de Saint-Brieuc, 1886

Issue de la très haute noblesse, Valeria Messalina (24 - 48) fut mariée à l'empereur Claude (10 av. J.C. - 54 ap. J.C.) alors qu'elle devait avoir à peine 14 ans. Les auteurs latins lui ont brossé un portrait sans complaisance d'impératrice sanguinaire, n'hésitant pas à supprimer toutes celles qu'elle considérait comme ses rivales, transformant le palais impérial en un lieu de débauche. Claude finit par la faire mettre à mort.
Le poète Juvenal la décrit dans ses Satires, installée dans un bordel des bas-fond romains qu'elle occupait nuitalemment, allongée sur une paillasse et "exposée nue, les seins dans une résille d'or". Brunet revisite ici le thème de Clésinger (Femme nue piquée par un serpent de 1847, musée d'Orsay) avec une sensibilité très marquée en cette fin du XIXe siècle par la figure extrême des débauches féminines. Copiant un corps réel, il tente de sauver son sujet du scandale par le traitement d'un visage idéalisé aux références antiques et intemporelles où l'extase se confond avec une douce expression de bonheur intérieur. 
Malgré tout, cette Augusta Meretrix ("impératrice putain"), propose une figure paradoxale et très insolite, à la fois sensuelle et poétique, d'un exercice de style cherchant son étrange équilibre entre provocation et classicisme.



Meschina, 2008
Modà

Fuck U - live @ L'autre Canal, Nancy, 2012
Archive

Messalina, 2012
Kamurria

On était aux derniers jours du mois d'août. Claude était allé à Ostie participer à la série des fêtes célébrées en l'honneur du dieu Vulcain. Il faisait extrêmement chaud, comme si les fournaises du dieu étaient grandes ouvertes dans le ciel. Les raisins achevaient de mûrir protégés par le feuillage des ormeaux. Ce fut le moment choisi par Messalina pour célébrer son mariage avec Silius. Elle ne se cacha pas ; au contraire, elle donna à cet acte absurde tout l'éclat possible. Moi-même, dans ma retraite, j'en entendis les échos. Il y eut le cortège habituel avec les joueurs de flûte, dont la musique parvint jusqu'à moi, tandis que la procession, partie de la maison de Messalina et de Claude, descendait du Palatin par la rue de la Victoire et, à travers le Forum, gagnait la maison de Silius. Tout cela faisait beaucoup de bruit. C'était bien l'aventure la plus folle que l'on puisse imaginer. 

Dès le début de la cérémonie, un émissaire, posté par Narcissus pour surveiller Messalina, se précipite à Ostie et avertit son maître que l'Augusta est en train d'épouser Silius selon les rites, et qu'elle ne reconnait plus le prince comme son époux. Narcissus prévient aussitôt Calpurnia (c'était le nom de la petite prostituée qui se trouvait dans la chambre du prince) et, comme convenu, elle transmet la nouvelle à Claude qui, d'abord, refuse d'y croire. Calpurnia fait alors appel à Cléopâtra, l'autre fille, qui assure au prince qu'elle aussi en a entendu parler, et qu'il n'y a pas le moindre doute. On fait venir Narcissus, qui se jette aux pieds de Claude et lui demande pardon pour lui avoir si longtemps caché la conduite scandaleuse de sa femme. Le prince est bouleversé. On crie, on pleure. Claude lève les bras au ciel et, comme à son ordinaire, ne sait plus que penser.
A la fin il se laisse persuader. Les officiers du palais sont convoqués. Tous lui confirment que la situation est grave, que Rome est en révolution, que Silius a de nombreux partisans et qu'il va prendre le pouvoir. "Je ne suis donc plus empereur ?" demande Claude. On lui répond qu'il l'est encore, mais qu'il doit se hâter s'il veut le rester. Une voiture était prête ; on l'y fit monter, presque de force, et on prit le chemin de la Ville. Narcissus dirige tout. Contrairement à l'étiquette, il s'installe dans la voiture du prince et décide Claude à lui confier pour ce jour-là tous les pouvoirs militaires et le commandement de la garde. Ainsi, un affranchi devenait le maître du monde, parce que le prince avait peur !

Autour de Messalina, la fête continuait. Elle avait décidé que son mariage serait celui d'Ariane et de Dionysos. Elle était Ariane, Silius Dionysos. Autour d'eux des femmes déguisées en bacchantes, des hommes en silènes. L'esprit du dieu les possèdait tous, et voici qu'au beau milieu de ce délire arrivent des messagers. Ils annoncent que Claude sait tout, qu'il approche et avec lui la vengeance. Sur quoi la bacchanale prend fin. Chacun ne songe plus qu'à son propre salut. On se disperse. Messalina se rend dans les jardins d'Asiaticus, devenus les siens. Silius va au Forum. Les autres s'enfuient comme ils peuvent, mais beaucoup furent devancés par les prétoriens de Narcissus, qui les arrêtèrent et les enchaînèrent. Messalina, dont pour une fois l'audace devint courage, traverse en toute hâte la Ville à pied et gagne la route l'Ostie. Dans la campagne, elle avise un tombereau à ordures et, moyennant quelques deniers, obtient que le conducteur la prenne auprès de lui et la conduise vers le port. Abandonnée de tous, elle espère encore avoir conservé son pouvoir sur l'esprit de l'empereur.

La rencontre eut lieu en plein champ, à un mille environ de la Ville. Messalina se jeta à la tête des chevaux du prince en criant que Claude devait l'écouter, qu'elle était la mère d'Octavie et de Britannicus. Narcissus couvre sa voix en parlant de Silius et du mariage qu'elle venait de célébrer. Puis il fait lancer les chevaux au galop et l'Augusta, en larmes, les vêtements souillés, les cheveux en désordre, est abandonnée sur la route. Pendant toute cette scène, Claude était resté silencieux, tiraillé entre sa tendresse envers l'impératrice et sa peur de n'être plus rien dans l'Empire. La peur finit par l'emporter, puis se fut la colère lorsque Narcissus le conduisit dans la maison de Silius et qu'il vit les dépouilles de la demeure impériale que l'Augusta y avait fait porter. Sans plus attendre, Narcissus l'entraîne au camp des prétoriens et, avec son consentement plutôt que sur son ordre, les tribuns du prétoire arrêtent tous ceux que Narcissus leur désigne. Tous les complices de l'impératrice, ceux qu'elle avait aimés ou qu'elle avait sollicités, et que l'on pouvait soupçonner d'avoir souhaité la mort de Claude, sont traînés au supplice. Silius le premier qui mourut, me dit-on, avec un grand courage. En ne s'opposant pas à Messalina, il avait accepté ce risque, qu'il eût couru également s'il avait résisté. Certes, bien mieux que Claude, il eût mérité de régner !

Que dirai-je de Messalina ? Après sa vaine tentative, elle était revenue dans ces jardins qu'elle avait tant désirés. Elle n'avait pas encore perdu l'espoir et, non sans énergie, essayait de rédiger sa défense. Peut-être eût-elle réussi à se sauver si Narcissus, sans même consulter Claude, n'avait donné aux soldats l'ordre de la tuer. Le prince, en effet, revenu de sa terreur, après un interminable dîner au cours duquel il avait beaucoup bu, avait fini par déclarer qu'il entendrait le lendemain la "malheureuse Augusta" pour qu'elle présente sa défense...
Les soldats se rendirent donc aux jardins d'Asiaticus. Ils y trouvèrent Messalina, en compagnie de sa mère qui l'engageait à ne pas attendre les exécuteurs, car elle savait bien qu'il ne restait aucun espoir. Une ou deux fois, Messalina essaya d'enfoncer un poignard dans sa gorge. Mais sa main tremblait, et ce fut le tribun du prétoire qui dut lui porter le coup fatal. La tentative de révolution avait échoué.
Mémoires d'Aggripine, Pierre Grimal

I Claudius, 1976

15.12.12

Francesca Woodman // Lac des Cygnes

From Polka Dots series, Providence, Rhode Island, 1975—1978
Francesca Woodman

Black Swan, 2011
Directed by Darren Aronofsky

Untitled, Macdowell Colony, Peterborough, New Hampshire, 1980.
Francesca Woodman

Untitled, Providence, Rhode Island, 1976
Francesca Woodman

From Angel series, Rome, 1977.
Francesca Woodman

Swan of darkness.
Francesca Woodman

Untitled, New York, 1979-1980.
Francesca Woodman

Untitled.
Francesca Woodman

Untitled.
Francesca Woodman


Black Swan - Solo and Coda with Thiago Soares
Swan Lake
Royal Opera House - March 2009

7.12.12

Suspension

Suspension : 
n. f. - suspenciun "délai, incertitude" 1170 > Latin suspensio, de suspendere
I. Le fait de suspendre (I) d'interrompre ou d'interdire ; son résultat. >1 VX ou DR. (sauf dans des loc.) Interruption ou remise à plus tard. La suspension des hostilités >> abandon, arrêt, cessation. LOC Suspension d'armes : arrêt concerté, local et momentané, des opérations. >> trêve.-DR. Suspension d'audience, son interruption par le président du tribunal. ABSOLT "Après cinq minutes de suspension pendant lesquelles mon avocat m'a dit que tout allait pour le mieux." CAMUS. Suspension de prescription. Suspension des poursuites. Suspension de peine. >> remise.- Suspension de paiements (>moratoire).
Fait de retirer ses fonctions (à un agent, à un magistrat, à un fonctionnaire) à titre de sanction disciplinaire (>suspendu). Suspension d'un maire par le préfet. >2 VX Figure de style qui consiste à tenir les auditeurs en suspens. GRAMM. Interruption du sens.- MOD. LOC. Points de suspension : signe de ponctuation (...) servant à remplacer une partie de l'énoncé ou à interrompre l'énoncé. "les points de suspension {...} tiennent en suspens ce qui ne doit pas être dit explicitement" BACHELARD.

II. >1 (1718) Manière dont un objet suspendu est maintenu en équilibre stable. Point de suspension d'une balance. La suspension d'un balancier. Suspension du tablier d'un pont. > Appui élastique d'un véhicule (châssis, coque) sur ses roues ; et des roues sur le sol (par les pneumatiques). Ressorts de suspension : ressorts à lames, barres de torsion, ressorts hélicoïdaux. Amortisseurs de suspension. - Suspension hydropneumatique, oléopneumatique. - Ensemble des pièces (amortisseurs, ressorts, jumelles, joints) assurant la liaison élastique du véhicule et des roues. La suspension est raide. >2 RARE Le fait d'être suspendu, l'action de suspendre. La vertigineuse horreur "qu'inspire la suspension au dessus d'un gouffre" GAUTIER. >3 CHIM. Etat d'une substance formée de particules solides finement divisées dans un liquide ou dans un gaz (milieu dispersif). Poussières en suspension dans l'air. Colloïde en suspension. - Une suspension : système formé par une ou plusieurs phases en suspension dans un milieu dispersif. > colloïde, suspensoïde. >4 (1867) VX Support suspendu au plafond. Suspension contenant des fleurs. - MOD. Appareil d'éclairage destiné à être suspendu. > lustre. "une petite suspension aux branches de cuivre ajouré qui semble une copie en réduction d'un lustre d'intérieur hollandais" PEREC.
Le Petit Robert 2012

Germaine Krull, La Folle d'Itteville, 1931
Voici Paris, modernités photographiques 1920 à 1950Centre Pompidou


Le lac - Alphonse de Lamartine

Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges
            Jeter l'ancre un seul jour ?

Ô lac ! l'année à peine a fini sa carrière,
Et près des flots chéris qu'elle devait revoir,
Regarde ! je viens seul m'asseoir sur cette pierre
            Où tu la vis s'asseoir !

Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes ;
Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés ;
Ainsi le vent jetait l'écume de tes ondes
            Sur ses pieds adorés.

Un soir, t'en souvient-il ? nous voguions en silence ;
On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
            Tes flots harmonieux.

Tout à coup des accents inconnus à la terre
Du rivage charmé frappèrent les échos,
Le flot fut attentif, et la voix qui m'est chère
            Laissa tomber ces mots :

« Ô temps, suspends ton vol ! et vous, heures propices,
            Suspendez votre cours !
Laissez-nous savourer les rapides délices
            Des plus beaux de nos jours !

« Assez de malheureux ici-bas vous implorent ;
            Coulez, coulez pour eux ;
Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent ;
            Oubliez les heureux.

« Mais je demande en vain quelques moments encore,
            Le temps m'échappe et fuit ;
Je dis à cette nuit : « Sois plus lente » ; et l'aurore
            Va dissiper la nuit.

« Aimons donc, aimons donc ! de l'heure fugitive,
            Hâtons-nous, jouissons !
L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive ;
            Il coule, et nous passons ! »

Temps jaloux, se peut-il que ces moments d'ivresse,
Où l'amour à longs flots nous verse le bonheur,
S'envolent loin de nous de la même vitesse
            Que les jours de malheur ?

Hé quoi ! n'en pourrons-nous fixer au moins la trace ?
Quoi ! passés pour jamais ? quoi ! tout entiers perdus ?
Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,
            Ne nous les rendra plus ?

Éternité, néant, passé, sombres abîmes,
Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?
Parlez : nous rendrez vous ces extases sublimes
            Que vous nous ravissez ?

Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure !
Vous que le temps épargne ou qu'il peut rajeunir,
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
            Au moins le souvenir !

Qu'il soit dans ton repos, qu'il soit dans tes orages,
Beau lac, et dans l'aspect de tes riants coteaux,
Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages
            Qui pendent sur tes eaux !

Qu'il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe,
Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,
Dans l'astre au front d'argent qui blanchit ta surface
            De ses molles clartés !

Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,
Que les parfums légers de ton air embaumé,
Que tout ce qu'on entend, l'on voit et l'on respire,
            Tout dise : « Ils ont aimé ! »

A nos Amours, 2012
Damien Saez

Lucien Lorelle, Nu au coléoptère, 1953
Voici Paris, modernités photographiques 1920 à 1950 - Centre Pompidou



From Polka Dots series, Providence, Rhode Island, 1975—1978Francesca WoodmanFrom Polka Dots series, Providence, Rhode Island, 1975—1978

Nous ne nous sommes pas reconnus dans le silence, nous ne nous sommes pas reconnus dans les hurlements, ni dans nos grottes, ni dans les gestes des étrangers. Autour de nous, la campagne est indifférente et le ciel sans intentions.
Nous nous sommes regardés dans le miroir de la mort. Nous nous sommes regardés dans le miroir du sceau insulté, du sang qui coule, de l'élan décapité, dans le miroir charbonneux des avanies. Nous sommes retournés aux sources glauques.
Henri Michaux - Labyrinthes


Agnès RedRichard LearoydAgnès in gingham dress