19.12.12

Messalina





Eugène Cyrille Brunet
(Sarcelles, 1828 - 1921)

Messaline
Musée des Beaux-Arts, Rennes.

Marbre de Carrare
Salon de 1884

Dépot de l'Etat (FNAC) au musée de Saint-Brieuc, 1886

Issue de la très haute noblesse, Valeria Messalina (24 - 48) fut mariée à l'empereur Claude (10 av. J.C. - 54 ap. J.C.) alors qu'elle devait avoir à peine 14 ans. Les auteurs latins lui ont brossé un portrait sans complaisance d'impératrice sanguinaire, n'hésitant pas à supprimer toutes celles qu'elle considérait comme ses rivales, transformant le palais impérial en un lieu de débauche. Claude finit par la faire mettre à mort.
Le poète Juvenal la décrit dans ses Satires, installée dans un bordel des bas-fond romains qu'elle occupait nuitalemment, allongée sur une paillasse et "exposée nue, les seins dans une résille d'or". Brunet revisite ici le thème de Clésinger (Femme nue piquée par un serpent de 1847, musée d'Orsay) avec une sensibilité très marquée en cette fin du XIXe siècle par la figure extrême des débauches féminines. Copiant un corps réel, il tente de sauver son sujet du scandale par le traitement d'un visage idéalisé aux références antiques et intemporelles où l'extase se confond avec une douce expression de bonheur intérieur. 
Malgré tout, cette Augusta Meretrix ("impératrice putain"), propose une figure paradoxale et très insolite, à la fois sensuelle et poétique, d'un exercice de style cherchant son étrange équilibre entre provocation et classicisme.



Meschina, 2008
Modà

Fuck U - live @ L'autre Canal, Nancy, 2012
Archive

Messalina, 2012
Kamurria

On était aux derniers jours du mois d'août. Claude était allé à Ostie participer à la série des fêtes célébrées en l'honneur du dieu Vulcain. Il faisait extrêmement chaud, comme si les fournaises du dieu étaient grandes ouvertes dans le ciel. Les raisins achevaient de mûrir protégés par le feuillage des ormeaux. Ce fut le moment choisi par Messalina pour célébrer son mariage avec Silius. Elle ne se cacha pas ; au contraire, elle donna à cet acte absurde tout l'éclat possible. Moi-même, dans ma retraite, j'en entendis les échos. Il y eut le cortège habituel avec les joueurs de flûte, dont la musique parvint jusqu'à moi, tandis que la procession, partie de la maison de Messalina et de Claude, descendait du Palatin par la rue de la Victoire et, à travers le Forum, gagnait la maison de Silius. Tout cela faisait beaucoup de bruit. C'était bien l'aventure la plus folle que l'on puisse imaginer. 

Dès le début de la cérémonie, un émissaire, posté par Narcissus pour surveiller Messalina, se précipite à Ostie et avertit son maître que l'Augusta est en train d'épouser Silius selon les rites, et qu'elle ne reconnait plus le prince comme son époux. Narcissus prévient aussitôt Calpurnia (c'était le nom de la petite prostituée qui se trouvait dans la chambre du prince) et, comme convenu, elle transmet la nouvelle à Claude qui, d'abord, refuse d'y croire. Calpurnia fait alors appel à Cléopâtra, l'autre fille, qui assure au prince qu'elle aussi en a entendu parler, et qu'il n'y a pas le moindre doute. On fait venir Narcissus, qui se jette aux pieds de Claude et lui demande pardon pour lui avoir si longtemps caché la conduite scandaleuse de sa femme. Le prince est bouleversé. On crie, on pleure. Claude lève les bras au ciel et, comme à son ordinaire, ne sait plus que penser.
A la fin il se laisse persuader. Les officiers du palais sont convoqués. Tous lui confirment que la situation est grave, que Rome est en révolution, que Silius a de nombreux partisans et qu'il va prendre le pouvoir. "Je ne suis donc plus empereur ?" demande Claude. On lui répond qu'il l'est encore, mais qu'il doit se hâter s'il veut le rester. Une voiture était prête ; on l'y fit monter, presque de force, et on prit le chemin de la Ville. Narcissus dirige tout. Contrairement à l'étiquette, il s'installe dans la voiture du prince et décide Claude à lui confier pour ce jour-là tous les pouvoirs militaires et le commandement de la garde. Ainsi, un affranchi devenait le maître du monde, parce que le prince avait peur !

Autour de Messalina, la fête continuait. Elle avait décidé que son mariage serait celui d'Ariane et de Dionysos. Elle était Ariane, Silius Dionysos. Autour d'eux des femmes déguisées en bacchantes, des hommes en silènes. L'esprit du dieu les possèdait tous, et voici qu'au beau milieu de ce délire arrivent des messagers. Ils annoncent que Claude sait tout, qu'il approche et avec lui la vengeance. Sur quoi la bacchanale prend fin. Chacun ne songe plus qu'à son propre salut. On se disperse. Messalina se rend dans les jardins d'Asiaticus, devenus les siens. Silius va au Forum. Les autres s'enfuient comme ils peuvent, mais beaucoup furent devancés par les prétoriens de Narcissus, qui les arrêtèrent et les enchaînèrent. Messalina, dont pour une fois l'audace devint courage, traverse en toute hâte la Ville à pied et gagne la route l'Ostie. Dans la campagne, elle avise un tombereau à ordures et, moyennant quelques deniers, obtient que le conducteur la prenne auprès de lui et la conduise vers le port. Abandonnée de tous, elle espère encore avoir conservé son pouvoir sur l'esprit de l'empereur.

La rencontre eut lieu en plein champ, à un mille environ de la Ville. Messalina se jeta à la tête des chevaux du prince en criant que Claude devait l'écouter, qu'elle était la mère d'Octavie et de Britannicus. Narcissus couvre sa voix en parlant de Silius et du mariage qu'elle venait de célébrer. Puis il fait lancer les chevaux au galop et l'Augusta, en larmes, les vêtements souillés, les cheveux en désordre, est abandonnée sur la route. Pendant toute cette scène, Claude était resté silencieux, tiraillé entre sa tendresse envers l'impératrice et sa peur de n'être plus rien dans l'Empire. La peur finit par l'emporter, puis se fut la colère lorsque Narcissus le conduisit dans la maison de Silius et qu'il vit les dépouilles de la demeure impériale que l'Augusta y avait fait porter. Sans plus attendre, Narcissus l'entraîne au camp des prétoriens et, avec son consentement plutôt que sur son ordre, les tribuns du prétoire arrêtent tous ceux que Narcissus leur désigne. Tous les complices de l'impératrice, ceux qu'elle avait aimés ou qu'elle avait sollicités, et que l'on pouvait soupçonner d'avoir souhaité la mort de Claude, sont traînés au supplice. Silius le premier qui mourut, me dit-on, avec un grand courage. En ne s'opposant pas à Messalina, il avait accepté ce risque, qu'il eût couru également s'il avait résisté. Certes, bien mieux que Claude, il eût mérité de régner !

Que dirai-je de Messalina ? Après sa vaine tentative, elle était revenue dans ces jardins qu'elle avait tant désirés. Elle n'avait pas encore perdu l'espoir et, non sans énergie, essayait de rédiger sa défense. Peut-être eût-elle réussi à se sauver si Narcissus, sans même consulter Claude, n'avait donné aux soldats l'ordre de la tuer. Le prince, en effet, revenu de sa terreur, après un interminable dîner au cours duquel il avait beaucoup bu, avait fini par déclarer qu'il entendrait le lendemain la "malheureuse Augusta" pour qu'elle présente sa défense...
Les soldats se rendirent donc aux jardins d'Asiaticus. Ils y trouvèrent Messalina, en compagnie de sa mère qui l'engageait à ne pas attendre les exécuteurs, car elle savait bien qu'il ne restait aucun espoir. Une ou deux fois, Messalina essaya d'enfoncer un poignard dans sa gorge. Mais sa main tremblait, et ce fut le tribun du prétoire qui dut lui porter le coup fatal. La tentative de révolution avait échoué.
Mémoires d'Aggripine, Pierre Grimal

I Claudius, 1976

15.12.12

Francesca Woodman // Lac des Cygnes

From Polka Dots series, Providence, Rhode Island, 1975—1978
Francesca Woodman

Black Swan, 2011
Directed by Darren Aronofsky

Untitled, Macdowell Colony, Peterborough, New Hampshire, 1980.
Francesca Woodman

Untitled, Providence, Rhode Island, 1976
Francesca Woodman

From Angel series, Rome, 1977.
Francesca Woodman

Swan of darkness.
Francesca Woodman

Untitled, New York, 1979-1980.
Francesca Woodman

Untitled.
Francesca Woodman

Untitled.
Francesca Woodman


Black Swan - Solo and Coda with Thiago Soares
Swan Lake
Royal Opera House - March 2009

7.12.12

Suspension

Suspension : 
n. f. - suspenciun "délai, incertitude" 1170 > Latin suspensio, de suspendere
I. Le fait de suspendre (I) d'interrompre ou d'interdire ; son résultat. >1 VX ou DR. (sauf dans des loc.) Interruption ou remise à plus tard. La suspension des hostilités >> abandon, arrêt, cessation. LOC Suspension d'armes : arrêt concerté, local et momentané, des opérations. >> trêve.-DR. Suspension d'audience, son interruption par le président du tribunal. ABSOLT "Après cinq minutes de suspension pendant lesquelles mon avocat m'a dit que tout allait pour le mieux." CAMUS. Suspension de prescription. Suspension des poursuites. Suspension de peine. >> remise.- Suspension de paiements (>moratoire).
Fait de retirer ses fonctions (à un agent, à un magistrat, à un fonctionnaire) à titre de sanction disciplinaire (>suspendu). Suspension d'un maire par le préfet. >2 VX Figure de style qui consiste à tenir les auditeurs en suspens. GRAMM. Interruption du sens.- MOD. LOC. Points de suspension : signe de ponctuation (...) servant à remplacer une partie de l'énoncé ou à interrompre l'énoncé. "les points de suspension {...} tiennent en suspens ce qui ne doit pas être dit explicitement" BACHELARD.

II. >1 (1718) Manière dont un objet suspendu est maintenu en équilibre stable. Point de suspension d'une balance. La suspension d'un balancier. Suspension du tablier d'un pont. > Appui élastique d'un véhicule (châssis, coque) sur ses roues ; et des roues sur le sol (par les pneumatiques). Ressorts de suspension : ressorts à lames, barres de torsion, ressorts hélicoïdaux. Amortisseurs de suspension. - Suspension hydropneumatique, oléopneumatique. - Ensemble des pièces (amortisseurs, ressorts, jumelles, joints) assurant la liaison élastique du véhicule et des roues. La suspension est raide. >2 RARE Le fait d'être suspendu, l'action de suspendre. La vertigineuse horreur "qu'inspire la suspension au dessus d'un gouffre" GAUTIER. >3 CHIM. Etat d'une substance formée de particules solides finement divisées dans un liquide ou dans un gaz (milieu dispersif). Poussières en suspension dans l'air. Colloïde en suspension. - Une suspension : système formé par une ou plusieurs phases en suspension dans un milieu dispersif. > colloïde, suspensoïde. >4 (1867) VX Support suspendu au plafond. Suspension contenant des fleurs. - MOD. Appareil d'éclairage destiné à être suspendu. > lustre. "une petite suspension aux branches de cuivre ajouré qui semble une copie en réduction d'un lustre d'intérieur hollandais" PEREC.
Le Petit Robert 2012

Germaine Krull, La Folle d'Itteville, 1931
Voici Paris, modernités photographiques 1920 à 1950Centre Pompidou


Le lac - Alphonse de Lamartine

Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges
            Jeter l'ancre un seul jour ?

Ô lac ! l'année à peine a fini sa carrière,
Et près des flots chéris qu'elle devait revoir,
Regarde ! je viens seul m'asseoir sur cette pierre
            Où tu la vis s'asseoir !

Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes ;
Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés ;
Ainsi le vent jetait l'écume de tes ondes
            Sur ses pieds adorés.

Un soir, t'en souvient-il ? nous voguions en silence ;
On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
            Tes flots harmonieux.

Tout à coup des accents inconnus à la terre
Du rivage charmé frappèrent les échos,
Le flot fut attentif, et la voix qui m'est chère
            Laissa tomber ces mots :

« Ô temps, suspends ton vol ! et vous, heures propices,
            Suspendez votre cours !
Laissez-nous savourer les rapides délices
            Des plus beaux de nos jours !

« Assez de malheureux ici-bas vous implorent ;
            Coulez, coulez pour eux ;
Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent ;
            Oubliez les heureux.

« Mais je demande en vain quelques moments encore,
            Le temps m'échappe et fuit ;
Je dis à cette nuit : « Sois plus lente » ; et l'aurore
            Va dissiper la nuit.

« Aimons donc, aimons donc ! de l'heure fugitive,
            Hâtons-nous, jouissons !
L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive ;
            Il coule, et nous passons ! »

Temps jaloux, se peut-il que ces moments d'ivresse,
Où l'amour à longs flots nous verse le bonheur,
S'envolent loin de nous de la même vitesse
            Que les jours de malheur ?

Hé quoi ! n'en pourrons-nous fixer au moins la trace ?
Quoi ! passés pour jamais ? quoi ! tout entiers perdus ?
Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,
            Ne nous les rendra plus ?

Éternité, néant, passé, sombres abîmes,
Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?
Parlez : nous rendrez vous ces extases sublimes
            Que vous nous ravissez ?

Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure !
Vous que le temps épargne ou qu'il peut rajeunir,
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
            Au moins le souvenir !

Qu'il soit dans ton repos, qu'il soit dans tes orages,
Beau lac, et dans l'aspect de tes riants coteaux,
Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages
            Qui pendent sur tes eaux !

Qu'il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe,
Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,
Dans l'astre au front d'argent qui blanchit ta surface
            De ses molles clartés !

Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,
Que les parfums légers de ton air embaumé,
Que tout ce qu'on entend, l'on voit et l'on respire,
            Tout dise : « Ils ont aimé ! »

A nos Amours, 2012
Damien Saez

Lucien Lorelle, Nu au coléoptère, 1953
Voici Paris, modernités photographiques 1920 à 1950 - Centre Pompidou



From Polka Dots series, Providence, Rhode Island, 1975—1978Francesca WoodmanFrom Polka Dots series, Providence, Rhode Island, 1975—1978

Nous ne nous sommes pas reconnus dans le silence, nous ne nous sommes pas reconnus dans les hurlements, ni dans nos grottes, ni dans les gestes des étrangers. Autour de nous, la campagne est indifférente et le ciel sans intentions.
Nous nous sommes regardés dans le miroir de la mort. Nous nous sommes regardés dans le miroir du sceau insulté, du sang qui coule, de l'élan décapité, dans le miroir charbonneux des avanies. Nous sommes retournés aux sources glauques.
Henri Michaux - Labyrinthes


Agnès RedRichard LearoydAgnès in gingham dress

25.11.12

BAAM !

Railway, 2012
Boy

One Day, 2012
Asaf Avidan

Hatchet, 2012
Archive

Medusa, 2012
Malika Ayane

16.11.12

« Sortez, voici l’entrée ! »

La Barque de Dante / Dante et Virgile aux enfers, 1822
Eugène Delacroix
Musée du Louvre, Paris

Noi pur giugnemmo dentro a l'alte fosse che vallan quella terra sconsolata : le mura mi parean che ferro fosse. Non sanza prima far grande aggirata, venimmo in parte dove il nocchiet forte "Usciteci, gir dò : qui è l'intrata".


Nous arrivâmes dans les fossés profonds qui entourent cette ville désolée. Les murs me semblaient de fer. Non sans de grands détours, nous vînmes en un endroit où le dur nocher nous cria : « Sortez, voici l’entrée ! »
Dante Alighieri, 1307-1321
La Divina Commedia
L'Inferno, Canto VIII



Nothing so difficult as a beginning
In poesy, unless perhaps the end; 
For oftentimes when Pegasus seems winning 
The race, he sprains a wing, and down we tend, 
Like Lucifer when hurl'd from heaven for sinning; 
Our sin the same, and hard as his to mend, 
Being pride, which leads the mind to soar too far, 
Till our own weakness shows us what we are. 


II 

But Time, which brings all beings to their level, 
And sharp Adversity, will teach at last 
Man, -- and, as we would hope, -- perhaps the devil, 
That neither of their intellects are vast: 
While youth's hot wishes in our red veins revel, 
We know not this -- the blood flows on too fast; 
But as the torrent widens towards the ocean, 
We ponder deeply on each past emotion. 


III 

As boy, I thought myself a clever fellow, 
And wish'd that others held the same opinion; 
They took it up when my days grew more mellow, 
And other minds acknowledged my dominion: 
Now my sere fancy "falls into the yellow 
Leaf," and Imagination droops her pinion, 
And the sad truth which hovers o'er my desk 
Turns what was once romantic to burlesque. 


IV 

And if I laugh at any mortal thing, 
'T is that I may not weep; and if I weep, 
'T is that our nature cannot always bring 
Itself to apathy, for we must steep 
Our hearts first in the depths of Lethe's spring, 
Ere what we least wish to behold will sleep: 
Thetis baptized her mortal son in Styx; 
A mortal mother would on Lethe fix.
Lord Georges Gordon Byron, 1819-1824
Don Juan, Canto IV



Le Naufrage de Don Juan / La barque de Don Juan, 1840
Eugène Delacroix
Musée du Louvre, Paris




Dans la mythologie de l'Egypte Antique, le dieu Rê et sa barque céleste : 

Seth à l'avant de la barque de Rê, neutralise Apophis à l'aide d'un harpon

La barque céleste

Défunt adorant Rê

20.10.12

A Rimbaud appartient Octobre

A Rimbaud appartient Octobre
(Octobre 2012 : 20-10-1854)

A Rimbaud appartient le charme d'Octobre.
Bien loin, à des vents effarés, loin de l'opprobre
Joutent quelques grêlons aux grâces de la brume
Contre l'hiver froid, par une envolée de plumes.

Le soleil se réjouit de brûler et de fondre ;
L'été crépusculaire allonge ses ombres ;
Le printemps d'hiver fronde, et par dessus allume
Les vives couleurs de feu. La saison se résume :

Octobre sublime adjure aux forêts entières
Le rosaire orangé, à l'air amer. La mer
Agite l'écume, comme une mousseline 

S'embarquant au vent vif, tournant sur la colline.
A Rimbaud appartient Octobre, fièvre et fier
De marquer dans ses fers sa saison vers l'Enfer.

B.M.



Octobre appartient à Rimbaud comme Rome à César. Rimbaud et son auguste mine, Arthur et son empire de poésie. Rimbaud rime, résonne, rayonne de ses 158 ans d'éternel adolescent. Rimbaud évoque en chacun le charme de la jeunesse éternelle, la sensibilité de l'innocence, l'invitation à l'évasion et à la bohème, le rebelle agité, l'utopiste endiablé, l'amoureux exacerbé, le contemplateur, l'impertinent, l'égoïste, le fou, le passionné, l'impossible concession, la fougue et la modernité. De sa solitude, il a fait un voyage quand de sa plume, il a abdiqué d'un empire poétique.

Verlaine clôt sa préface des Poésies (1895) en regrettant que l'homme n'ait pas laissé vivre davantage le poète puisqu'il cesse d'écrire à 20 ans, aussi prématurément qu'il meurt jeune, à 37 ans. "Rimbaud fut un poète mort jeune mais vierge de toute platitude ou décadence ― homme il fut un homme mort jeune aussi mais dans son vœux bien formulé d’indépendance et de haut dédain de n’importe quelle adhésion à ce qu’il ne lui plaisait pas de faire ni d’être."

Supposition d'une photo de Rimbaud, à 25 ans,
à l'hôtel de l'Univers (nov. 1979)

Le fantôme d'un adulte qui est mort garde le visage éternel d'un adolescent vivant au cœur du patrimoine de la culture mondiale. Rimbaud respire encore de son insolence quand il inspire les artistes même hors de son temps. Toujours moderne, il souffle à Verlaine puis tellement d'autres et de plus nombreux anonymes. Son histoire fascine mais le mythe l'emporte sur la vie d'un homme, on se rend compte qu'il véhicule la même passion des sensations.


« C'était en octobre 1973. J'ai accompli un pèlerinage solitaire à Charleville en passant par Paris. J'ai pris le train pour Charleville-Mézières, et quand je suis arrivée ce soir-là sous la pluie légère, submergée par l'émotion, j'ai fondu en larmes. 
Avec le peu d'argent que j'avais, j'ai acheté à la papeterie d'à côté du papier quadrillé, simple mais joli, dans l'intention de dessiner et de noter mes impressions. Quand je suis allée au musée, il n'y avait personne. J'étais seule. J'avais du papier et des crayons et je me suis assise dans un coin. J'ai dessiné un portrait de Rimbaud et je l'ai daté. Je l'ai gardé pendant des années. Mon plus précieux souvenir de ce séjour est ce petit croquis que j'ai exécuté dans la pénombre du Musée Rimbaud. Ce croquis porte en lui toute la révérence rebelle de ma jeunesse. Même fâchée avec le monde entier, j'étais assez sentimentale pour être émue aux larmes à la vue de la valise et de l'écharpe de Rimbaud. […] Je garde toujours précieusement le ticket de ma visite… 
On peut y lire : Musée de l'Ardenne. Expositions. Prix d'entrée : 1F n°.009074. Ce franc si consciencieusement dépensé a rempli toute une vie de souvenirs doux-amers. »
Patti Smith


Près d'un siècle après, ce que je prends moi-même, pour ses meilleurs vers, Patti lui rend hommage pour la première fois et un réalisateur italien le fait passer au panthéon du cinéma. Nélo Risi, avec Una stagione all'Inferno, propose un Rimbaud incarné par Terence Stamp - que tout le monde ne peux imaginer aujourd'hui qu'avec ses tempes grises. La jeunesse de Rimbaud, éternelle, va de pair avec l'incroyable modernité de l'artiste. C'est pourquoi, aujourd'hui comme hier et demain, Rimbaud restera l'impudent adolescent.

Una stagione all'Inferno, Nelo Risi (1970)

Et si aujourd'hui l'automne résonne, c'est à Rimbaud que revient le mérite des couleurs des mots, du vent soufflé par son rythme et son phrasé. Laissez-vous entrainer, le temps d'un instant par le voyage saccadé d'un train en marche vers la modernité.


Rêvé pour l'hiver
à Elle.

L'hiver, nous irons dans un petit wagon rose
Avec des coussins bleus.
Nous serons bien. Un nid de baisers fous repose
Dans chaque coin moelleux.

Tu fermeras l'œil, pour ne point voir, par la glace,
Grimacer les ombres des soirs,
Ces monstruosités hargneuses, populace
De démons noirs et de loups noirs.

Puis tu te sentiras la joue égratinée...
Un petit baiser, comme une folle araignée,
Te courra par le cou...

Et tu me diras : "Cherche!" en inclinant la tête ;
- Et nous prendrons du temps à trouver cette bête !
- Qui voyage beaucoup...

En wagon, le 7 octobre 1870.
A. Rimbaud


Ma Bohème
(Fantaisie)

Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées ; 
Mon paletot aussi devenait idéal ;
J'allais sous le ciel, Muse! et j'étais ton féal ;
Oh! Là là! que d'amours splendides j'ai rêvées!

Mon unique culotte avait un large trou.
- Petit Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse ;
- Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou.

Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;

Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !

Octobre 1870.
A. Rimbaud


Entends comme brame

Entends, comme brame
près des acacias
en avril la rame
viride du pois!

Dans sa vapeur nette,
Vers Phœbé! tu vois
s'agiter la tête
de saints d'autrefois...

Loin des claires meules
des caps, des beaux toits,
ces chers Anciens veulent
ce philtre sournois...

Or ni feriale
ni astrale! n'est
la brume qu'exhale
ce nocturne effet.

Néanmoins ils restent
- Sicile, Allemagne,
dans ce brouillard triste
et blêmi, justement!

A. Rimbaud