Hommage des Disciples d'Antonio Canova
Détail du Lion du tombeau de Canova, 1827
Venise, Basilique Santa Maria Gloriosa dei Frari.
Elvis Presley
Are you lonesome To-Nigth, 1960
(Musique de Lou Handmann et paroles de Roy Turk, 1926)
"Que la damnation puisse être éternelle suppose en fin de compte que le péché n'a point de fin."
Simon Vestfijk - Le serveur et les vivants.
"Mais qu'importe l'éternité de la damnation à qui a trouvé dans une seconde l'infini de la jouissance !"
Charles Baudelaire - Le Spleen de Paris.
"Et c'est encore la vie ! Si la damnation est éternelle !"
Arthur Rimbaud - Une saison en enfer.
Nuit de l'Enfer, 1873
Interprêté par Léo Ferré.
Dans l'antre de l'angoisse, la descente aux enfers s'immisce au ventre de la terre, sous le sol gelé par l'hiver. Au dessus, les racines crasses et poisseuses caressent de leur duvet des stalactites plongeantes. En d'autres endroits, ce sont des lianes tendues vers l'illusion d'un possible ailleurs. Plus fréquemment, elles se dressent et s'opposent, comme des lances, à l'évasion des fauves infernaux.
PLUTON :
J'arracherai ces veines qui insidieusement imprègnent l'autre règne de l'eau de là ! Que de vaines tentatives à repousser les monstrueux liens de notre disparition sous terre.
Laissez, Dieux, mon univers ! Laissez moi à ma Reine ! Laissez ma Reine... Je ne souhaite que brûler mon enthousiasme à la retrouver. Quand bien même les miasmes nous embaument, je leur rendrai, avec l'acharnement et la puissance d'une centurie, la fièvre du baume de ses lèvres. Je ne peux que brûler l'enfer s'il me permet de la garder. Je suis damné et je damnerai toute une armée pour nous protéger et l'empêcher de regagner l'autre côté. Vous tremblerez devant l'enfer de ma colère. Vous vous plierez à l'enfer de mon orgueil. Et je me rendrai à l'enfer de ses caresses.
PROSERPINE :
Comment arracher au silence le besoin de me taire ? Je suis ta Reine. Oh oui mon Empereur de la terreur. Je couperai les racines de chaque rêve, je décapiterai toute croyance qui m'éloignera de ton amour, mon cher Saigneur, nous nous rejoignons dans cette guerre.
Ici se terre la conscience de mon malheur quand je regagne sur terre l'univers éphémère et familier. Je ne peux pleurer cette peur devant le feu de ta passion. Je ne peux désespérer à me savoir loin de toi aux jours où les nuits se font courtes. Je prie pour me rapprocher de la clarté de l'hivers arctique. Là où la Nuit rend un vrai hommage sans concession à notre empire, je lance tous les sacrifices pour en appeler aux Dieux. Rendez-moi mes ténèbres et ma fournaise. Rendez-moi mon Roi.
Dans la chair, dans le sang, dans les larmes balancent les fleuves des enfers. Le Styx baigne l'infamie autant qu'il porte rageusement ses courants sur le bord des éruptions de colère autour des deux amants.
L'Achéron recueille toutes leurs larmes de désespoir et de tristesse lorsque, sur la sphère céleste, l'astre solaire réalise son grand écart. Plus loin, le Cocyte afflue des bouillonnements et des tremblements passionnels sans compassion vers l'Achéron. Les torrents de flammes irriguent le Pyriphlégéton qui s'oublie devant le Léthé, poison qui délivre du souvenir l'impossible rédemption.
PLUTON :
Je serai le Lion et toi mes Ailes. Nous ferons de cet humus passionné notre île, notre Venise, citée soumise aux caprices submersibles de nos fleuves infernaux. Mais où a-t-elle disparu ? Ma Reine ? Reine ? Proserpine ?
PROSERPINE :
Oh miséricorde... Mon Aimée, mon Roi... Oh miséricorde. Les fantômes s'accrochent à moi et tu ne me vois plus, ne m'entends plus... Chassez moi, âmes infâmes. Videz-moi de votre embarras. Laissez-moi caresser encore mon Roi. Que les enfers vous brûlent et anéantissent vos âmes si vous m'empêcher de retrouver mon Roi.
PLUTON :
Ma Reine, je ne vois plus ma Reine. J'entends encore sa voix résonner. Elle disparaît pour regagner l'autre monde. Qui suis-je pour la ferrer à l'enfer sous prétexte de tant de passion ? L'empereur des enfers peut brûler, les flammes lui sont un réconfort. Mais mon Aimée ? Privée des fleurs, privée de sa terre, noyée à l'intérieur de son chagrin qui la coupe en deux. Je crois qu'il m'en songe de vénéneux espoirs. Tous, que je rejette, alors, dans le Styx. Je bois du doute de mon bien fondé. Je crois l'enlever. Je me vois voler et l'emporter. Pourtant mon poison m'assomme et autour de moi le néant. Le Lion Ailé ne sait plus voler et jusqu'à la lie, je bois ce poison.
Me voilà touché du mal de l'autre monde, par un puissant poison plus fulgurant que le choléra. Le poison dans ma tête ordonne la raison de me damner. Le poison dans ma tête m'ordonne de l'enlever. Le poison dans ma tête s'insinue, continue. Puisse le Lion de Némée, frère de mon fidèle Cerbère, n'avoir jamais succombé aux travaux d'un demi-dieu. Me voilà comme lui, fauve sauvage étouffé, même plus un Lion, tout juste un Griffon immonde, auteur de terribles carnages. Si la peine m'empêche de régner alors, me voilà simple messager vers l'enfer, à grande peine doué de parole*. Caresserai-je l'espoir de l'emmener à nouveau ou pour me soulager enfin de me voir décomposer, irais-je m'apaiser par le goût du Léthé ?
* Selon la croyance grecque cela fait de lui un Dieu Psychopompe.
Coldplay
The Scientist, 2000.
The Scientist, 2000.
Angoisse
Je ne viens pas ce soir vaincre ton corps, ô bête
En qui vont les péchés d’un peuple, ni creuser
Dans tes cheveux impurs une triste tempête
Sous l’incurable ennui que verse mon baiser :
En qui vont les péchés d’un peuple, ni creuser
Dans tes cheveux impurs une triste tempête
Sous l’incurable ennui que verse mon baiser :
Je demande à ton lit le lourd sommeil sans songes
Planant sous les rideaux inconnus du remords,
Et que tu peux goûter après tes noirs mensonges,
Toi qui sur le néant en sais plus que les morts :
Planant sous les rideaux inconnus du remords,
Et que tu peux goûter après tes noirs mensonges,
Toi qui sur le néant en sais plus que les morts :
Car le Vice, rongeant ma native noblesse,
M’a comme toi marqué de sa stérilité,
Mais tandis que ton sein de pierre est habité
M’a comme toi marqué de sa stérilité,
Mais tandis que ton sein de pierre est habité
Par un cœur que la dent d’aucun crime ne blesse,
Je fuis, pâle, défait, hanté par mon linceul,
Ayant peur de mourir lorsque je couche seul.
Je fuis, pâle, défait, hanté par mon linceul,
Ayant peur de mourir lorsque je couche seul.
- Stéphane Mallarmé -
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